Les variations harmoniques de Marianna FEKETE
Marianna Fekete est née au sud de la Hongrie, à Pécs, ville natale de Vasarely. Elle étudie d’abord la littérature et la philosophie allemandes ainsi que l’histoire de l’art avant de suivre l’enseignement du peintre Ferenc Lantos.
Celui qui sera son maître pendant presque six ans rassemble alors autour de lui nombre de jeunes talents, artistes, architectes et musiciens. Il lui apprendra à travailler avec exigence et lui donnera l’occasion de découvrir toute une mouvance artistique et surtout la musique de ses compatriotes, Bartók, Ligeti, Kurtág. Influencée par la philosophie de John Cage, la musique de ce dernier et la musique répétitive en général ne cesseront de l’accompagner dans son travail de peintre.
En 1986, Marianna Fekete quitte la Hongrie pour Paris où elle poursuit son travail. Elle ne cessera depuis exposer ses œuvres en France, en Hongrie, en Allemagne et à Bruxelles.
Pour apprécier son œuvre, il faut prendre en compte la corrélation qu’elle établit entre la musique et la peinture :
« Le rapport entre musique et peinture est d’autant plus évident que l’on met en jeu des rythmes, des vibrations, des tonalités différentes, des éléments de forme et de matière qui peuvent avoir leur correspondance dans la structuration d’un espace. »
Loin d’effets spectaculaires ou calculés, son travail reste sobre, presque minimaliste, si ce n’est cet art du détail, de la juxtaposition que l’on retrouve dans la plupart de ses peintures. Le même motif peut se retrouver décliné en de multiples variations jusqu’à nécessiter parfois de se démultiplier en diptyque ou triptyque.
Récemment, Marianna Fekete a utilisé également comme support des blocs de bois, les peignant avec la même palette de couleurs que les toiles. Elle les assemble librement en une sorte de jeu de construction qui vient en contrepoint de l’œuvre peint.
Sa démarche vise à développer le sens de la visualisation, à rendre compte chaque jour de la profondeur et de la beauté du monde. Marianna Fekete travaille incessamment pour éviter la routine, pour rester libre, en état d’éveil. Pour faire comprendre sa démarche, elle aime citer l’écrivain François Cheng :
« … La vraie beauté est justement conscience de la beauté et de l’élan vers la beauté. Mais à cause de cela même, Le regard est plus que les yeux. Toutes les langues n’émettent-elles pas l’idée que les yeux sont “la fenêtre de l’âme“ ? La beauté du regard vient d’une lumière qui sourd de la profondeur de l’Être. »
(…)
Tout se passe comme si le monde physique voulait nous initier et nous former à la beauté en montrant qu’elle est ; En signifiant outre qu’elle est extensible et transformable, qu’à partir de la beauté formelle d’autres harmoniques, D’autres résonances, d’autres transfigurations sont possibles. »
Chants silencieux
Marianna Fekete ne s’attache ni à la représentation figurative, ni à des recherches formelles et encore moins conceptuelles. Il s’agit pour elle de transcrire sous forme picturale une sensation, un regard, la perception d’un moment fugace qui vient tout autant d’elle-même que du monde extérieur. Une impression visuelle ou une perception intérieure qui rassemble surprise, intensité, émerveillement et sensation d’étrangeté. Dans ce qu’on voit et qui n’est pas encore décrypté, est contenu tout un univers sensible et intelligent qui se livre et se dérobe.
Comment choisir un sujet et la manière de le représenter ? Comment s’adresser à l’enfant en chacun, au regard curieux, fasciné devant le monde extérieur, devant un reflet, une couleur, une organisation de lignes, des traces, des lumières. Non pas pour ce qu’il raconte ou veut raconter, mais pour en saisir la beauté, pour ce qu’il représente avant tout discours organisé, avant toute construction intellectuelle.
Marianna parvient à exprimer une sensation qui est aussi un état de conscience. Le regard s’attache à une organisation d’ensemble, à des lignes mélodiques qui s’harmonisent et donnent immédiatement la sensation de quelque chose que l’on connaît déjà à l’intérieur de soi-même et que l’on reconnaît avec une sensation familière et heureuse.
La peinture de Marianna respire la nature. Courses dans les herbes folles, rires d’enfants, saisissement devant un champ de coquelicots, longues traînées de pluie sur les vitres, coulures humides sur des haies ou des barrières, bouffées de vent, plongée dans une tache lumineuse qui s’étale et absorbe. Un joyeux éparpillement, des corolles éparses, en apesanteur, grilles et coulures qui arrêtent, retiennent les éléments naturels, piquets enfoncés dans l’espace, couleurs qui débordent, traces de cerfs volants, pistils bruns éparpillés par le vent. Frémissement.
De l’eau glisse continûment sur la barrière du jardin. Elle strie silencieusement les vitres. Des faisceaux de bâtons verticaux amassés absorbent l’espace, traînées superposées de couleurs enchevêtrées. Il pleut doucement, violemment, le regard s’empêtre dans les brassées de branches mouillées, bute obstinément sur l’obstacle qu’il ne peut ni arrêter, ni franchir. Bruit de pluie sur la terre détrempée. Parfois la barrière ondoie, se déploie, un accordéon de stries chromatiques.
Les cubes de bois brut, fendillés, irréguliers, captent les mêmes couleurs, brun foncé, rouge franc, or et vert Velázquez, les mêmes lumières. Agencés de manières diverses, seuls, empilés l’un sur l’autre ou disposés en jeu de construction, ils échappent eux aussi à toute lourdeur tout en rappelant l’élément solide, terrien, qui constitue aussi la terre, l’arbre. La liberté de leur agencement, l’image référente du jeu de cubes, de construction, fait écho à la liberté de formes dans les peintures.
Ce n’est pas un hasard si Marianna Fekete nous renvoie à ces reflets dans le miroir de frondaisons, inversées, superposées. La nature et l’air, la respiration le vent, le souffle, sont omniprésents dans son travail. Les formes suspendues disent la légèreté, la mitoyenneté entre la terre et le ciel, la station debout. Ombres et lumières colorées forment une texture aérienne, une robe couleur du temps pour Peau d’Âne. Une tessiture légère, arachnéenne dans les derniers tableaux avec ces triangles aux couleurs pastel, ces tulles de danseuse et ces cônes inversés de derviches tourneurs qui traduisent le mouvement, l’ivresse de l’âme.
Dans le dynamisme pictural de formes en voie d’évolution, harmonies légères, substance vaporeuse et irisée en forme d’ascension mouvante et continue, volatile et impondérable, dans ces formes arrondies, gonflées comme des ballons et l’impulsion légère donnée au mouvement ascensionnel, s’exprime une liberté portée par le souffle, une poésie du rythme pictural, de la transparence et du mouvement.
Ces tableaux font entendre les « chants silencieux » dont parle Keats dans l’Ode à l’urne grecque :
Expositions :